September 08, 2021
FT Alphaville, 8 septembre 2021
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Le 23 août, une allocation de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI a injecté 650 milliards de dollars de liquidités potentielles au système financier mondial. Mais certaines des économies les plus durement touchées par la pandémie peinent à utiliser ces liquidités, parfois en raison de désaccords liés à la propriété des fonds : ceux-ci appartiennent-ils aux banques centrales ou aux Etats ?
Les DTS étant relativement méconnus de nombreux décideurs politiques en Amérique latine, Latindadd, une organisation de la société civile spécialisée dans la fiscalité, la dette et le développement, a publié en août un manuel sur l’utilisation fiscale des DTS pour aider à orienter les décisions politiques prises dans ce domaine. Comme Latindadd l’indique, les DTS représentent un avoir de réserve internationale créé par le FMI en 1969 pour faciliter les règlements de la balance des paiements. Ainsi, les DTS en eux-mêmes ne constituent ni une dette, ni des prêts, mais des créances potentielles sur les devises fortes librement utilisables d’autres membres du FMI. Historiquement, ces créances ont parfois été utilisées pour rembourser des prêts consentis par le FMI. Cela implique que les actifs sont, et ont toujours été, étroitement liés aux budgets des États.
Néanmoins, au Mexique, la banque centrale, connue sous le nom de Banxico, a récemment publié une déclaration affirmant qu’il lui revenait, plutôt qu’au gouvernement, de contrôler les 12 milliards de dollars de DTS reçus par l’Etat lors de la dernière émission du FMI. Le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, n’est pas de cet avis. Pour lui, les DTS devraient être alloués au budget fédéral.
López Obrador a raison. Et il est important que la communauté internationale comprenne pourquoi, à partir d’une base juridique.
Selon les articles XV et XVII des Statuts du FMI, les DTS appartiennent « aux États membres » du FMI. Or, ces membres sont représentés par les gouvernements des nations, pas par leurs banques centrales. Les récentes orientations publiées par le FMI indiquent que :
« Les membres bénéficient d’une grande liberté dans la manière de gérer les DTS qui leur sont alloués, y compris s’agissant du degré d’implication des banques centrales dans leur gestion et de leur utilisation directe sous la forme d’appui budgétaire. »
La note de bas de page 13 précise :
« Dans certains pays, les autorités inscrivent les DTS au bilan du gouvernement et leur législation nationale précise qu’une agence gouvernementale est le propriétaire ultime des DTS. »
En ce qui concerne le droit national mexicain, Banxico fait valoir que l’article 20 de sa propre législation inclut les DTS dans ses réserves internationales, mais cela revient à confondre la nature des DTS en tant qu’actifs et la nature des DTS en tant que propriété. En termes comptables, Banxico peut détenir des DTS dans ses réserves, tout en reconnaissant leur appartenance à l’Etat.
Un exemple s’avère utile ici. Lorsque Pemex, la compagnie pétrolière nationale du Mexique, vend du pétrole, elle reçoit des dollars en retour. Pemex dépose ces dollars à Banxico. Banxico crédite le compte de Pemex et augmente ses réserves internationales, mais les dollars appartenaient à Pemex à l’origine. Il en va de même pour les DTS : le Trésor mexicain reçoit l’allocation de DTS, il les inscrit dans le budget, puis dépose les DTS à Banxico. Le Trésor mexicain a augmenté ses propres soldes, Banxico augmente ses réserves internationales, mais les DTS appartenaient à l’Etat à l’origine.
Peut-on concevoir, simplement parce que l’article 20 répertorie les billets en devises étrangères, l’or et les dépôts à l’étranger comme types d’avoirs de réserve, que Banxico s’attribue la propriété de tous les billets en dollars, de l’or et des dépôts à l’étranger ?
Même si Banxico persiste dans son interprétation incorrecte de sa loi nationale, les Statuts du FMI constituent un traité international et priment ainsi sur le droit national.
Banxico prétend que les DTS entrants doivent être enregistrés à la fois comme un actif et comme un passif de la banque centrale. Ceci est un mythe. Les orientations récentes du FMI spécifient que :
« Les Statuts ne prescrivent pas de traitement comptable spécifique pour les allocations de DTS. En conséquence, les membres ne sont pas tenus, en vertu des statuts, de suivre un cadre ou une méthodologie comptable spécifique en ce qui concerne leur allocation. Il serait espéré que les membres qui souscrivent volontairement à certaines meilleures pratiques statistiques présente et diffuse leurs données conformément aux meilleures pratiques auxquelles ils souscrivent. »
La meilleure pratique qui « serait espérée » se trouve dans la sixième version du Manuel de la balance des paiements (MBP6) du FMI. Mais le BPM6 n’est qu’un ensemble de recommandations statistiques dont le caractère non contraignant est clairement exposé dans son chapitre introductif :
« 1.7 Les définitions et classifications contenues dans le présent Manuel ne visent pas à donner effet ou à interpréter les diverses dispositions des Statuts du Fonds Monétaire International qui ont trait aux aspects juridiques de l’action (ou du manque d’action) officielle concernant ces transactions. »
En ligne avec la création des DTS en 1969 en tant qu’« or papier », la cinquième version du même manuel (BPM5) (appliquée de manière prédominante lors de la dernière émission des DTS en 2009) indiquait clairement que « les DTS sont des avoirs de réserve internationaux que le FMI a créé » et que « les pays membres de cette institution auxquels des DTS sont alloués n’ont pas une obligation effective (inconditionnelle) de rembourser leurs allocations de DTS ». Les Appendices du BPM5 ajoutent « il s’agit d’avoirs financiers pour lesquels il n’existe pas d’engagements en contrepartie ».
López Obrador voit juste également sur le plan économique. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a lancé un appel courageux aux pays dans le besoin, notant que les allocations de DTS de 2009 avaient souvent été utilisées simplement pour augmenter les réserves. Cette fois, elle espère que ce sera différent : « Nous vous demandons, à vous dirigeants, d’utiliser ces ressources de manière stratégique, pour les priorités principales. Et, bien sûr, l’autonomie sanitaire est une priorité absolue », a-t-elle déclaré.
López Obrador propose d’utiliser les DTS au profit de la population et pour réduire le service de la dette de son État. Si je préférerais que les DTS soient utilisés pour soutenir la reprise économique, les prêts aux petites entreprises et les infrastructures essentielles, il appartient au peuple mexicain – et à son gouvernement démocratiquement élu – de décider de la meilleure façon de les dépenser, et non aux banquiers centraux qui veulent stériliser l’injection de DTS tant disputée en la noyant dans un stock de réserves déjà élevé.
Il serait dommage qu’après tous les efforts que la société civile et de nombreux dirigeants ont mis dans cette allocation de DTS, les DTS restent inutilisés en période de pandémie à cause de faux obstacles technocratiques. La décision du Mexique constitue un précédent pour le monde en développement.